Matins mauves



C’était en d’autres temps et déjà j’attendais l’avenir
Tenir entre nos mains le vrai bonheur
Celui qu’on attendait
Celui qu’on n’avait pas
Une chambre sans rideaux
Ces matins mauves de dimanche
L’amour pour la première fois
Une étreinte qui tient en dehors du monde
Oubliant l’écho des autres univers
Un rendez-vous dans l’indicible
À chacun sa manière de se croire immortel

Et un jour
L’insupportable chaleur
Des corps ensoleillés d’existence
Miroirs triangulaires
Reflets de petites apocalypses
Et dans le rétroviseur
Un kaléidoscope d’anciens amants
La pluie frappe au carreau
Les cœurs n’ont pas le goût des flaques de boue
Et des oiseaux morts sur les routes
Nos deux dépouilles languissantes prenant racine
Comme des nénuphars nocturnes
Nos corps délavés agglutinés
Au fond d’une cuvette
Datant du siècle où les fleurs
Poussaient encore dans les salles de bains

Et dans une dernière lumière
L’enlacement incertain d’êtres incomplets

Aujourd’hui
Comme un souffle arrivant du large
Ma voix se multiplie sur les cartes
Je trace les continents d’un mélange de poussière et de larmes
À partir loin on finit par s’égarer
Tu m’as écrit des mots indescriptibles venant du passé
Une lettre éclatée sur un atlas comme nos vies séparées
Seule
L’horizon au creux de tes bras

Je sais que le futur nous attend, tu me l’as promis autrefois. Je te l’ai dit, je reviendrai une ultime fois regarder le ciel à mes pieds. Discrète, j’avance dans la lumière.

Annick Hélie-Jan