nos corps ne savent plus leur forme

Ici, on joue à cinquante-deux ramasse avec nos canettes de bière pis on en construit des châteaux. La galerie en radeau, on vogue sur l’appréhension noyée en fonds de bouteilles. Les yeux mi-clos, les bras en embouchure, on oublie l’avenir dans le périscope.  

Ici, on monte le volume au lieu du chauffage. Jérôme50 dans l’tapis, nos corps ne savent plus leur forme. Nos peaux n’ont plus de frontières. Quatre-vingts dans un cinq et demie on est au-dessus des maths, asymptote infinie dans notre apparte 

Ici, on enfile les nuits blanches, on enfume nos rêves. Le temps comme pâte à modeler, on a carte blanche pour se façonner. On est œuvre plurale, ponts de ficelle entre les doigts. On conjugue au présent l’immensité de nos versions.  

Ici, nos mots forment des fossiles urbains dans les trottoirs encore humides. Le sourire fendu jusqu’aux cernes tellement creux qu’on y planterait des fleurs. Get it while you can disait Janis, parce qu’ici on se permet de pouvoir. De pouvoir offrir, de pouvoir jouer. De pouvoir s’élargir, de pouvoir briller.  

Ici, on est enfants qui se réimprovisent avec des craies sur l’asphalte. On se bourre de chaudrons de spags, de sangria en chaudières. De points éphémères, on devient lumières en série, constellation humaine inassouvie.  

Ici, nos présences calamines s’ouvrent sur nos petites infinités. Sur nos épaules côtes à côtes, sur nos têtes à têtes qui se serrent les coudes. D’un étage à l’autre, les soirs échus nous colmatent. Et par nos visages en corolle, on absorbe le soleil qui au final     chaque matin    atterrit sur nos toits.



Shana Paquette